Pays de Redon : la bio, c’est pas du folklore !
Le 09/10/2018
Au carrefour de trois départements et de deux régions*, ce petit pays a une identité forte marquée à la fois par la tradition, agricole et musicale notamment – il y a même des paysans-chanteurs –, et par l’alternatif, l’associatif, le militantisme. La bio, diffusée surtout en circuit court, y trouve naturellement sa place mais se confronte à des pratiques anciennes bien ancrées.
* Ille-et-Vilaine, Morbihan, Loire-Atlantique, en Bretagne et Pays de la Loire.
Vous connaissez le Pays de Redon ? Et la chanson Les Filles de Redon ? Allez voir sur YouTube. « Tapent du pied, sautent en rond… », l’air traditionnel breton invite à la danse. Une danse collective, à l’image de ce qui se fait sur ce terroir où s’enracine une économie sociale et solidaire volontaire : le parc éolien de Béganne (56), la Mutuelle des Pays de Vilaine, le magasin Biocoop de Redon (35)…, toutes ces initiatives, et tant d’autres, sont nées de citoyens qui se sont pris en main pour améliorer la vie locale. Peut-être parce que la petite région, à 60-70 km de Rennes, Vannes et Nantes, se sent loin de ses administrations et qu’elle essaye de former avec sa trentaine de communes un écosystème à part, presque autonome. L’agriculture biologique n’échappe pas à cette dynamique ni à son état d’esprit.
Complémentarité et biodiversité
Si on trouve un peu de tout en bio en Pays de Redon, même des kiwis, le lait est la principale production. Comme au Gaec (Groupement agricole d’exploitation en commun) de Brandéha, à Allaire (56), en bio depuis 2002. Ses associés y défendent la « complémentarité ». Christophe Baron reprend la ferme paternelle en 88, rejoint plus tard par un beau-frère puis deux cousins avec la ferme des grands-parents et 2 ha de pommiers. « Chacun apporte sa pierre, commente Christophe Baron. On n’augmente pas la production, on gagne en autonomie. » Sur 170 ha, ils élèvent 80 vaches laitières (voir ci-dessous) et leur descendance ainsi qu’une quinzaine de bœufs par an. Les céréales, données en complément de l’herbe, sont toutes produites sur la ferme. Les animaux fertilisent les vergers lorsqu’ils y broutent. Le Gaec mutualise aussi ses parcelles avec celles de paysans boulangers voisins. « Cela permet de mieux gérer les rotations en développant des échanges paille-fumier, explique Christophe Baron. Nous fournissons aussi du compost à plusieurs maraîchers locaux. »
Echange de services au Gaec de Brandéha, à Allaire (56) : les vaches fertilisent les vergers qui leur offrent une bonne herbe à brouter.
À la Ferme des Sept Chemins à Plessé (44) vivent, tranquilles, 40 pies noires bretonnes, plus ancienne et plus petite vache française aux cornes en forme de lyre. Parmi elles, Fine faisait l’affiche du salon de l’agriculture de Paris en 2017. Pas peu fiers ses trois éleveurs, très investis dans la sauvegarde de la race qui a failli disparaître, et dans la Fête de la vache nantaise (du 7 au 9 septembre à Plessé). « Préserver les races locales, c’est protéger la biodiversité et le goût, commente Hervé Merrant. Nous aidons de plus en plus d’éleveurs à s’installer avec la pie noire. » Nourri à l’herbe, leur troupeau donne un lait riche dont ils font des fromages blancs, des tommes… et du Gwell, un lait caillé aux ferments paysans. À découvrir au Héron bleu et autres magasins Biocoop du département. Ou le vendredi à la ferme qui fait aussi dépôt-vente d’autres produits : « Galettes, miel, porc, huile d’olive de Palestine…, égrène Hervé. Si ce n’est pas local, c’est militant, ça a du sens. »
Hervé Merrant et ses deux associés sur la Ferme des Sept Chemins à Plessé (44)
transforment tous les ans 100 000 litres de lait de leurs pies noires bretonnes.
Sensibiliser
Les belles initiatives laissent à penser que la région sourit à la bio. Les installations, plus que les conversions, sont régulières. Côté breton, 2017 a vu encore la création de neuf fermes (volailles, maraîchage, lait, grandes cultures…), soit un total de 58 exploitations bio. Peut-elle encore évoluer ? Christophe Baron est inquiet : « Toutes ces fermes où les animaux restent enfermés 24 h/24 h, comment pourraient-elles passer en bio ? » Poussées par la Communauté de communes, favorable à la bio notamment dans son plan alimentaire territorial (PAT) qui incite à la production locale de qualité ? « Le PAT a le mérite d’exister mais tout reste à faire, remarque Philippe Nevoux, maraîcher à Saint-Ganton (35) et président de Manger local en Pays de Redon, plateforme qui livre 20 cantines scolaires. Il manque la volonté politique de former les cuisiniers, alors que notre capacité de production est plus grande que la demande. » Il s’est installé en bio en 2010, avec Jean-Michel Renaud, pour « faire bouger les choses sur le territoire ». Non issus du milieu agricole, ils ont créé leur ferme, 6 ha de plein champs et 1 800 m² de serres froides. Ils fournissent aujourd’hui des paniers, des Amap, Biocoop en local et national… « On travaille avec des convaincus… Il reste encore du monde à sensibiliser. » Il y a mêmes des consommateurs qui ne demandent que ça, tel cet incrédule qui dit à Cathy Hervé, de Biocoop Le Héron bleu : « Vraiment, tout ce que vous vendez est bio ? Je veux voir ça ! » Encore un qui pourrait se laisser emporter par l’esprit du Pays de Redon !
Jean-Michel Renaud et Philippe Nevoux à Saint-Ganton (35) inventent des machines pour désherber leurs 30 variétés de légumes.
Interview réalisée par Marie-Pierre Chavel.